Rendez-vous en terre inconnue ? la Mongolie ? Le Tadjikistan ? Ces gens qui « n’ont rien mais qui donnent tout » avec le sourire ? S’ouvrir aux autres par signes, partager trois mots simples mais une tripotée d’indicibles ? Ce n’était pas l’objet de ce premier grand road-trip moto, aussi choisi parce qu’on parle raisonnablement anglais. Et qu’on aime bien échanger avec des gens avec un bon verre.
Après, se faire des copains en sachant statistiquement qu’un sur deux aurait voté Trump, c’était un peu chercher les complications, on avoue.
On était loin de se douter que nos interactions humaines les plus intéressantes en trois mois allaient nous être offertes par une famille de Républicains pur jus, qui avaient tous voté pour l’allumé de service en 2016.
Et la retraite, bordel ?
Trois semaines après le Maine, à Oklahoma City, on loue le camping-car* dans le jardin de Tammy Hemminger sur AirBnB pour deux nuits. Histoire de recharger les batteries, après des jours de camping. La douche fait 50 cm carrés, mais c’est mieux que pas de douche. Et le matelas sera sensass. Le premier soir, Tammy vient nous tchatcher brièvement en nous tendant une brochure de trucs à faire dans le coin. Le deuxième soir, elle nous invite à dîner avec Fafa, son père, et on fait le bénédicité avant le repas. Mains jointes devant les assiettes, petite prière au seigneur. Frisson d’exotisme, le même qui nous a pris la première fois qu’on a entendu le chant d’un muezzin en Turquie, et qu’on a découvert les paysans en couverture traditionnelle du Lesotho (Afrique du Sud). Ce soir là, le père de Tammy a une histoire à raconter (et probablement eu une amante) dans les 50 États américains. Comme nous, on dirait « je suis allé partout en Europe ». Ce n’est pas que les Américains ne voyagent pas : juste que leur pays est suffisamment grand pour se dispenser d’aller voir ailleurs. On parle avec Tammy de son couple et de notre moitié restée au pays, on se distille quelques vérités nues, comme ça n’arrive qu’en voyage (et en auto-stop) quand on sait qu’on ne reverra jamais les gens. Enfin Tammy, sexagénaire, nous offre un grand moment d’échange interculturel.
- La retraite, c’est pour bientôt ?
- Je suis pas pressée. J’aime être active, et mon employeur paie ma mutuelle.
- Ah. Et c’est cher ?
- 1 200 dollars par mois.
- Hein ?! Tu sais qu’en France, les soins sont quasi gratuits, et les mutuelles genre 10 fois moins cher ?
- Oui mais vous payez combien d’impôts ?
...
À l’heure du départ, Tammy nous écrit : « Mon ami, c’est pour ce genre de rencontres que je reste sur AirBnB ». Et tandis qu’on trace de l’Oklahoma vers le Nouveau-Mexique, elle tanne sa sœur Toni pour qu’elle nous héberge à Albuquerque.
De la neige au
Nouveau-Mexique
Quelques jours plus tard, Toni nous ouvre grand son cœur et sa maison. On y reste quatre jours. Et de longues soirées à s’échanger nos vies sous sa balancelle. Autant, on gardera l’histoire de Tammy pour nous, autant celle de Toni est géniale. Une vie pas simple, de mauvaises unions, la maladie. Et puis à 50 balais passés elle reconnecte avec un crush (béguin) de lycée sur Facebook. Scott parle lennnnntement, il a sa photo à côté de « cool » dans le dico, il construit des trucs de ses mains. Six mois dans l’année, il s’enferme dans une cabane du Montana avec son fusil et des boîtes de conserve, le temps que la neige passe. Pour elle, il a tout plaqué pour la marier dans la poussière du Nouveau-Mexique. Ils sont beaux, tous les deux. Toni nous emmène à l’église (épisode 3 de cette chronique), on fait la connaissance de ses voisins, les soirées sont belles, et le départ très rude.
Les Français sentent mauvais
Mais on n’a pas à attendre très longtemps pour avoir des nouvelles de la famille Hemminger. À Denver, Colorado, c’est le neveu, David, qui nous offre sa chambre d’amis. On y fait nos lessives en douce, obsédé par l’idée que nos chaussettes de français baroudeur - achetées 5 dollars chez Wallmart, et portées plus que de raison - ne nous trahissent. Pareil, on pourrait vous raconter sa vie en détail, ses doutes avec sa copine, dont il a fini par se séparer depuis. Il a une plaque d’immatriculation en hommage à l’armée. On lui dit que les Français sont fâchés avec le patriotisme, il répond que 12 ou 17 membres de sa famille sont militaires.
40 dollars
David est agent immobilier, à son compte, il a des logiciels qui lui permettent de vous contacter à la moindre photo de maison cliquée sur son site. Tout juste trentenaire, avec des principes, un gars sûr comme on dit. Un soir, on va au jacuzzi de sa résidence. Il y a une demi-douzaine d’Américains entre 30 et 40 ans. Il est tard, et la bière n’aide pas, on en perd notre anglais, c’est moyen pour sociabiliser. Mais à entendre les plus jeunes discuter de leur sortie de fac, des crédits, du boulot, on sourit en pensant qu’on a peu ou prou eu les mêmes interrogations il y a dix ans. C’est donc que les États-uniens ne sont pas si fêlés.
Après, n’allez pas croire qu’on n’a jamais parlé politique, bien au contraire. On leur a bien dit que le reste de la planète voyait Trump comme un « clown » et qu’il était limite-limite dans sa vision de tout ce qui n’est pas mâle blanc américain. Mais que voulez-vous. « L’économie marche », nous a dit Toni. « Hillary était la pire des candidates en face », ajoute David. C’est vrai. La candidate démocrate a été incapable de connecter avec les Américains, comme John Kerry en son temps (candidat contre George Bush en 2004). Enfin, on est resté poli, on n’est pas allé chercher le clash : c’est compliqué quand un inconnu vous ouvre sa maison pour rien. On a encore dormi chez deux amies de Toni, à San Francisco (à un jet de pierre du Golden Gate), et dans l’État de Washington - où cette maman qui vivait serrée avec son fils de 30 ans nous a laissé 40 dollars en partant, prenant notre fatigue et notre sans domicile fixe assumé pour un manque d’argent.
Bye bye
On s’est échangé des cartes, on a envoyé des colis de douceurs de France à Toni et Tammy, on les a invitées, et puis un an plus tard on correspond moins et les liens s’effilochent. Normal. Après qu’est-ce qui distingue le voyageur du touriste ? La moto ? La « curiosité » ? Le sac à dos ? N’hésitez pas à nous écrire, si vous savez. Nous, dans le fatras de gadgets, acronymes, thèses, blogs consacrés au voyage, on ne retient qu’une et une seule citation : « Voyager sans rencontrer les gens, c’est simplement se déplacer ».
*On en profite pour glisser que « camping-car », ça n’existe nulle part ailleurs qu’en France (et, inexplicablement, au Japon) d’ailleurs. En anglais, on dit « camper » ou RV pour « recreational vehicle ».
August 30, 2020 at 12:07AM
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Adopté par une famille de Républicains pur jus - Journal La Marseillaise
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